Poudlard L'extérieur [Terminé] Les Orchidées Explosives
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Sasha Shevchen , Serre n•2, le 02/10/2124

Sasha avait haussé un sourcil, interloqué par la question étrange d'Alison.

 

- Hum, ben... J'sais pas, douze ans ?

 

Il n'avait aucune idée de l'âge de Charlie. Lui avait-elle dit ? Peut-être. Ses souvenirs de la nuit où il avait trouvé la petite Carter étaient confus, mélangés avec mille sensations et la seule chose qui lui revenait facilement en mémoire, c'étaient ces odeurs multiples qu'il avait senti sur elle et dont certaines lui avaient rappelé Alison elle-même. Pourquoi son cerveau animal ne se souvenait-il jamais des choses importantes ?

Il sentait son coeur battre la chamade : c'était sûr, Alison savait. Sinon, elle ne lui aurait jamais demandé jusqu'où il allait, non ? Peut-être que Charlie lui avait dit qu'elle l'avait rencontré la nuit, sans lui en dire plus. Sasha secoua la tête.

 

- Ah non mais pas loin. Pas loin du tout. Genre dans le parc, quoi, rarement plus loin ! Comme tout le monde tu vois ?

 

Il haussa les épaules en pinçant les lèvres, histoire de rattraper les prochains mots qui lui étaient venus à l'esprit et qui mentionnaient la Forêt Interdite. Il ne pouvait pas mentir, au cas où elle savait déjà. Mais Alison semblait s'être désintéressée de lui. Avec un peu de chance elle ne relèverait pas qu'il n'y avait justement pas tout le monde qui sortait la nuit. Avec un soupir de dépit, il lâcha un dernier galet vers l'une des orchidées pour obéir et s'en aller chercher deux autres pots de fleur. Il préférait vachement ça : quand elle donnait des ordres, plutôt que quand elle lui posait des questions. Il s'en sortait beaucoup mieux sur les exercices pratiques qu'à l'oral - ça c'était clair, songea-t-il les mains enfoncées dans les poches tandis qu'il s'immobilisa devant la rangée d'orchidées pleines de boutons. Il n'avait strictement aucune idée de la couleur à choisir. Et il n'avait pas non plus la tête à ça. Un élève lui parla à sa droite et il mit un moment avant de réaliser ce que le garçon était en train de lui dire.

Il tourna la tête vers lui : c'était un petit roux qui avait sagement décidé de garder un mètre de distance avec l'ukrainien. Derrière l'élève, deux filles se tenaient, comme mal cachées derrière lui, jetant vers Sasha des oeillades intéressées. Le Gryffondor les regarda tour à tour.

 

- Tu m'suis ? aboya-t-il vers le Serpentard.

 

Ce dernier eut un mouvement de recul et un petit sourire mauvais. Ca lui rappelait encore les garçons avec Dmitri quand il était gosse. Cette fois c'était sûr : Alison et lui avaient réussi à se mettre la classe à dos et un nouveau nez cassé ne suffirait pas.

 

- Tu m'as suivi ? Quand ça ? répéta-t-il plus agressivement, comme il n'obtenait pas de réponse.

 

L'une des filles plaqua une de ses mains contre sa bouche.

 

- T'as vu comment il réagit ? lui glissa sa voisine en faisant une moue dégoûtée, comme si Sasha était incapable de les entendre. C'est vrai qu'c'est une brute. Comment elle peut lui faire confiance pour choisir les bonnes couleurs ?

 

Sasha lui jeta un coup d'oeil mais ne réagit pas. Il serrait les dents à s'en faire mal aux mâchoires, tâchant de se concentrer sur le Serpentard qui avait perdu un peu de son sourire et avait tant de mal à trouver une réponse.

 

- P'tet bien, finit-il par laisser entendre d'une voix geignarde. Et bientôt tout le monde va l'savoir.

 

Sasha haussa les sourcils, interrogateur. Comment avait-il pu être aussi aveugle ? Il était généralement sur ses gardes, mais quand il se promenait avec la main d'Alison dans la sienne, il était vrai qu'il devenait tête en l'air. Devant l'air dépité de Sasha, le Serpentard retrouva son sourire qui s'élargit en fendant un champ de tâches de rousseur moins élégant que celui qui décoraient les visages des Carter.

 

- Et pourquoi ?

- Dis donc la fouine, tu t'dépèches d'en ramener une ?! entendit-on un peu plus loin - le binôme du Serpentard qui tenait le crachoir à Sasha s'impatientait effectivement.

- Parce que tu dis pas qu'c'est faux, fit-il comme s'il n'avait pas entendu.

- Ben c'est faux.

- Trop tard !

 

Le Serpentard hoqueta en un rire si désagréable que Sasha n'avait qu'envie de le gifler. Mais il ne pouvait décemment pas se retrouver en retenue systématiquement, sinon il ne repasserait jamais rapidement en sixième année comme il l'espérait.

 

- Pourquoi ils t'appellent La Fouine. T'aimes fouiner ?

 

Le Serpentard se tortilla d'une drôle de manière, toujours avec ce sourire étrange. Il avait l'air de jubiler à avoir cette conversation saugrenue, tandis que les deux filles avaient fini par les contourner pour aller choisir des orchidées en prenant garde à ne pas s'approcher trop près de l'Ukrainien, mais il voyait bien qu'elles traînaient pour suivre leur conversation.

 

- Ouais, finit par admettre le petit roux. Et j'suis le meilleur pour faire passer les rumeurs.

 

Cette fois, Sasha comprit l'attitude bizarre du garçon, et ne put empêcher une grimace.

 

- Qu'est-ce tu veux ? il gronda en baissant la voix, espérant que les filles ne l'entendraient pas - et aussitôt les yeux du petit roux flamboyèrent.

- S'tu me ramènes un de ses sous-vêtements, j'dis que vous baisez comme des bêtes. Que j'vous ai vus et entendus.

- Tsss, siffla Sasha, mais c'était à son tour d'avoir un petit sourire en coin sans joie, et cette fois il se pencha vers le Serpentard pour lui faire une confidence. J'vais t'ramener beaucoup mieux. Et tu verras que t'auras pas besoin de mentir : on baise comme des bêtes et t'auras la preuve en échantillon.

 

La Fouine entrouvrit la bouche, dans un mélange d'espoir et d'étonnement, tandis que Sasha lui faisait un clin d'oeil en retournant vers les pots. Il les sélectionna au hasard.

 

 

 

 

 

- On a un problème chef, annonça Sasha très sérieusement en déposant Rose Chewing-Gum et Bleu Néon sur le plan de travail devant lui. Il y a des élèves qui mettent en doute notre... Hum. Relation.

 

Fini, les oreilles rouges : le Gryffondor semblait avoir complètement oublié leur précédente conversation. Il avait même l'air d'avoir trouvé une nouvelle assurance tandis qu'il poursuivit :

 

- T'inquiète pas, je nous ai fait gagner du temps, mais il va falloir être plus convaincants les jours prochains.

 

Sasha se concentra sur les pierres devant lui, préparant un troisième nid sans paraître se rendre compte de la posture froide d'Alison.

 

- Je te propose qu'on disparaisse ensemble dans un placard une fois de temps en temps. Et si tu veux, j'peux te prêter un pull pour dormir.

 

Il décocha un regard vers la Serpentard retranchée derrière sa frange. Il eut l'air déçu que sa proposition ne fisse pas mouche. C'était pourtant un truc de couple, de dormir avec les vêtements de l'autre, non ? Mais Alison paraissait froide comme la pierre. Qu'est-ce qui lui prenait tout à coup ? Sasha lui donna un petit coup de coude, comme pour la réveiller.

 

- Dis donc, Lu'eńka - et le mot roula dans la bouche de Sasha plus légèrement et naturellement que de l'anglais. T'as perdu ta langue ?

 

Mais la plaisanterie ne lui attira visiblement aucune indulgence de la jeune fille, aussi le Gryffondor se renfrogna-t-il à son tour en se préoccupant de ses pierres, de nouveau.

 

- Ben quoi, tu voulais un surnom ukrainien, non ?


Alison Carter , Serre n•2, le 02/10/2124

Un drôle de tribunal régit l'esprit d'Alison à cet instant. Treize ans, est-ce "trop jeune", pour un gars de 16 ans ? L'évidence lui souffle que "oui", bien évidemment. Mais qu'en penseraient les magazines ? Et Veralyn Moonstone  alors ? Et comment aborder ce genre de situation sans anéantir sa réputation à Poudlard ? Les questions se pressent avant même que les réponses n'arrivent, et rendent toute réflexion impossible. La sorcière inspire, expire, et recommence désespérément, ses yeux accrochés aux plantes qu'elle doit installer dans des pots plus grands.

 

Ses doigts fins prennent soin des bourgeons qui ont déjà nettement grossis grâce à la chaleur et aux sortilèges formulés avec délicatesse. Honey semble au bord de l'éclosion, ses bordures brillant d'un doré puissant. Mocha trône encore au milieu des galets, sa tige renforcée par les flatteries susurrées à son oreille. Framboise attend sagement, l'une de ses feuilles attirée vers la pile de pierres chaudes.

 

Au loin, l'enseignante court de table en table, craignant de perdre plusieurs orchidées à cause du manque de douceur des Serpentard. Certains élèves transpirent à grosses gouttes, ayant presque créé un sauna miniature sur leur plan de travail en abusant des charmes de température. D'autres s'énervent et frôlent l'explosion. Alison reste étrangement stoïque. Elle ignore le brouhaha, renfermée derrière une carapace dont elle-seule a le secret. Cependant, le retour de Sasha lui fait relever le menton d'un air curieux quelques secondes. Il ramène les deux dernières fleurs, mais aussi une mauvaise nouvelle.

 

— Ah. L'étudiante feint de l'écouter à peine, préférant éviter un nouveau bouillon d'émotions. Puis après ce qu'elle vient d'entendre, peut-être que c'est mieux qu'ils doutent de leur relation, finalement. Elle sort Mocha des galets pour la déposer doucement au centre de la terre du pot plus grand, toujours silencieuse, toujours inondée d'un flot incohérent d'idées qu'elle ne parvient pas à trier.

 

Quand le Gryffondor la provoque d'un léger coup de coude, seule sa frange bouge, Alison trop occupée à recouvrir les racines de la deuxième fleur avec précaution. "Lu'eńka, ça veut dire quoi ?", aurait-elle demandé si elle ne le visualisait plus chasser la fillette de treize ans dans le Parc de Poudlard. Mais l'image est tenace. Elle fronce son nez.

 

Elle pense à Charlie.

 

Ses phalanges compressent un peu trop la terre au pied de Mocha qui se tend et commence à trembler. Merde. Alison lâche la plante et recule avant de provoquer un drame. Son regard marron voyage à travers les groupes d'élèves penchés sur leurs bourgeons. Pourquoi faut-il qu'elle veuille forcer le destin alors qu'ils se contentent d'obéir aux règles simples de la vie en internat magique britannique, et se plient à sa hiérarchie sans broncher ? Un 7ème année est venue la voir l'autre soir dans leur salle commune.

 

Un type riche. Un salaud, mais avec de bonnes relations.

 

Il n'a pas caché son appétit pour une adolescente aussi téméraire et dévergondée qu'Alison. Elle s'est amusée à l'envoyer paître devant ses copines, se remerciant intérieurement d'avoir la carte du couple qu'ils forment Sasha et elle, et qui lui permet d'éviter les relations trop... concrètes. La rousse époussette sa blouse. Il faudra bien qu'elle plonge dans le grand bain un jour de toute façon. Elle surveille que personne ne les observe et se rapproche de l'Ukrainien en reprenant son travail sur les plantes.

 

— Laisse tomber. J'arrête tout. Oublie ça. 

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