Sasha ne savait pas pourquoi, mais soudain, il avait chaud. Ce devait être cette atmosphère tropicale. Ou la vue du thé fumant. Ou Alison en débardeur dont le maquillage se troublait qui lui rappelait qu'il n'aurait pas dû être autant habillé.
Bref, il finit par retirer sa robe de sorcier épaisse pour la déposer sans précaution sur un établi, avant de passer la main dans son col pour que sa cravate se desserrât ne serait-ce qu'un peu. Il jetait ce faisant quelques regards en biais vers la jeune fille.
Ah. Donc j'arrête tout, c'était j'arrête le deal. Il aurait peut-être dû poser la question tout de suite, finalement, grommela sa petite voix intérieure, qui lui reprochait la peine qu'il s'était donnée pour répondre aux exigences de La Fouine. Ce dernier désormais avait développé une obsession pour Alison : le jeune Serpentard bavait depuis quelques jours à la vue de la cadette des Carter, et visiblement était définitivement convaincu que Sasha et elle faisaient des choses pas catholiques dans les placards. Il ne savait pas si Alison s'en était rendue compte. Le boutonneux était déjà bizarre habituellement, sans avoir besoin de l'aide de Sasha.
Ce dernier, mal à l'aise - cette atmosphère était si différente des conditions dans lesquelles il avait l'habitude de rencontrer Alison - s'appuya sur le bord d'un plan de travail. Par un mimétisme inconscient, lui aussi se mit à toucher une plante. Elle avait des feuilles rugueuses et épaisses et il n'avait aucune idée de ce dont il s'agissait, sinon que cela occupait ses doigts. Les égratignures de sa chute sur les escaliers avaient déjà complètement disparu.
- Mmnon, balbutia-t-il, une moue déçue sur le visage. C'était pas que j'voulais qu'on arrête, c'était juste que j'voulais pas qu'on se fasse remarquer des professeurs. Et tu sais pourquoi, maintenant. Je préfère autant qu'ils s'intéressent pas trop à moi.
Ce n'était pas parfaitement vrai. Mais ça l'était partiellement. Ca lui convenait à peu près que les élèves croient qu'Alison se mettait régulièrement sous la table pour s'occuper de son entrejambe. Enfin ça le mettait un peu mal à l'aise comme idée, mais il l'acceptait. C'était une image qu'il pouvait renvoyer, si elle le voulait vraiment. Mais si les professeurs le trouvaient trop entreprenant avec des plus jeunes, et qu'en plus ils découvraient qu'il était un animal, il doutait qu'on le laissât tranquille.
Mais cela voulait-il dire qu'il fallait renoncer au deal ?
- Moi je voudrais bien qu'on continue.
Il avait parlé à voix basse, un peu comme s'il n'assumait qu'à moitié ses propos. Il regarda la tasse qu'elle avait déposé près de lui maintenant qu'elle s'était rapprochée, et il s'en saisit pour s'occuper les mains. Les odeurs qui s'en échappaient se mêlaient à celles d'Alison, se mariaient d'une manière agréable. Sasha osa la regarder : elle lui paraissait différente. Peut-être que c'était parce qu'il n'y avait aucun autre élève pour les épier, mais Alison n'avait pas l'air obnubilée par sa frange, cette fois. Les ondulations qui s'invitaient dans ses cheveux rappelaient la tignasse plus naturelle de Charlie, dans une version moins épaisse, et le maquillage troublé par l'humidité lui donnait un visage plus naturel, moins apprêté. Il la préférait bien comme ça : un peu plus sauvage. Peut-être que c'était parce qu'elle lui ressemblait un peu plus ainsi, lui qui n'était jamais tout à fait net ? Peut-être que c'était exactement le problème : il ne renvoyait justement pas l'image qu'elle voulait.
Par réflexe, Sasha baissa les yeux sur son accoutrement : en-dessous de sa chemise, un jean et des baskets pas très soignée. Mais au moins, pour une fois, il n'était pas plein de boue. Il releva les yeux vers Alison, plongea ses lèvres dans le thé pour se donner une contenance. Mais il eut un mouvement brusque et secoua une main.
- Ah ! Mais c'est trop chaud ce truc !
Avec un geste agacé, il reposa la tasse sur l'établi. Il perdait patience. A quoi ça lui servait de jouer constamment les doux agneaux pour elle si elle ne reconnaissait même pas les efforts qu'il faisait ?
- Qu'est-ce que tu veux, à la fin ? s'énerva-t-il. Dis-moi ! Sois claire quoi, puis je le ferai !
L'écho de sa voix était à demi étouffée par l'atmosphère surchauffée et saturée d'humidité de la serre. Il la regarda, de pied en cap. Ses cheveux défaits, les bretelles de son débardeur qui laissait voir sa peau laiteuse, laissée en évidence. De drôles d'idées lui venaient. Il écarta les bras.
- J'peux faire plus évident, dit-il en tâchant d'avoir l'air convaincant. Si c'est c'que tu veux, à la soirée d'Halloween j't'embrasse de façon très... Er, très entreprenante devant tout le monde. J'te dévore, avec les mains sur les fesses et les baisers dans le cou et tout. J'pourrai prétendre que j'avais bu et que j'me contrôlais plus, tu pourras prétendre qu'on est comme ça tout le temps quand personne nous regarde.
Sasha tâcha de rester stoïque, mais il se sentait fébrile. Sûr que s'il devait faire un truc pareil devant tout le monde, il faudrait réellement qu'il trouvât de l'alcool.
Il était resté les mains écartées, incertain. La réponse d'Alison mettait beaucoup trop de temps à venir à son goût. Il se passa une main dans ses cheveux en soupirant - les décoiffant plus encore que d'habitude si c'était possible, mais son visage était devenu rouge.
- Il fait trop chaud ici. Enfin bref. Si c'est autre chose, on fait autre chose, juste tu me l'expliques, ok ? Tu me dis et je fais, c'est simple. Tu veux que je vienne me planter devant la salle commune des Serpentards tous les jours pour te demander ? Je fais. Que je menace de fracasser les mecs qui t'ont regardée en ma présence ? Je fais. Tu vois ? C'est pas compliqué. Tu dis, je fais.
Son coeur tambourinait dans sa poitrine. Ses propos dépassaient un peu sa pensée sous l'effet de la frustration de perdre ce deal qui lui avait sauvé la mise sur quelques-uns de ses cours. Or, maintenant qu'ils étaient déjà à presque deux mois de la rentrée, si Alison changeait de binôme, il serait fichu. Personne n'accepterait de la remplacer parmi les cinquième années et il ne se sentait plus la capacité d'obtenir des bonnes notes par lui-même.
- St'euh plaît, il ajouta avec une mine déconfite, façon léopard-potté.