En dehors du Château Monde [En Cours] "Aldebert Wickerson ?" "C'est à côté."
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Balthazar Grimfire , Edimbourg, le 25/08/2124

Il sait pas trop comment se situer, Balt. C'est pas mal compliqué dernièrement. Sa mère est morte, et lui est toujours là. Il avait jamais pensé à ça avant. A cette situation. Il s'était jamais dit que ça pouvait arriver, que sa mère n'était pas éternelle. Et maintenant que c'est acté, ça le laisse con. Encore plus que d'habitude. Il est pas trop sûr de comment il doit réagir. Il s'est retrouvé en foyer, pendant une bonne semaine. Sans parler à personne. Et c'est pas son genre, de parler à personne. Puis y'a eu la cérémonie et le cimetière. On lui a demandé s'il voulait dire quelque chose. Alors il a parlé. Pour la première fois depuis qu'il a vu s'éteindre sa mère sur le canapé, il a parlé. Beaucoup. De plein de choses, mais pas vraiment de sa mère. Pas vraiment de ce qu'il ressent non plus. Juste il a parlé. Comme s'il laissait échapper tous les mots qu'il retenait depuis une semaine. Il s'est quand même bien gardé de dire qu'il a prévenu les gens que le lendemain. Il arrivait pas à y croire. A comprendre.  

 

Et puis, au milieu de tous ces mots, y'avait un nom qui revenait. Le nom que sa mère lui a donné avant de mourir. Le nom de son père, illustre inconnu qui n'a jamais fait parti de sa vie. Elle l'a bien prévenu : il est pas au courant de son existence. Sauf que si, il l'est. Il sait juste pas que c'est son fils, tout comme lui ignorait que c'était son père. Ils se côtoient depuis plusieurs années à Poudlard maintenant. La grosse blague. Mais après quelques vérifications, les services sociaux ont dû se rendre à l'évidence : la réalité s'imposait à eux. Et il était grand temps de rendre Balthazar à son père, unique tuteur qu'il lui restait désormais.

 

Dans le taxi qui mène à l'appartement d'Aldebert Wickerson, Balt parle. Beaucoup, comme s'il avait peur du silence. C'est sûrement le cas. Il a passé trop de temps dans le silence dernièrement. Et le pire de tous, c'est celui de sa mère. Elle est jamais restée silencieuse aussi longtemps, c'est vraiment trop bizarre. Il reste en retrait, son gros sac de voyage orné de stickers de groupes de metal sur l'épaule, la planche de skate sous le bras. Y'a fallu monter sacrément des escaliers pour arriver jusque là, et faut faire la queue sur le palier, parce que tout le monde ne rentre pas devant la porte.

 

Alors il reste sur la dernière marche, sa nouvelle couleur de crête à peine visible dans la pénombre. Sa mère avait jamais voulu qu'il se teigne les cheveux. Maintenant, il pouvait. Et il l'avait fait. Il laisse l'assistante sociale frapper à la porte. Il a retrouvé le silence. Il attend. Comme s'il n'était pas vraiment là. Il fait ça des fois. Souvent, en fait. Comme si il s'éteignait, se mettait en veille. Comme si y'avait aucune vie intelligente sous la crête. Beaucoup diraient que c'est le cas.

 

La porte s'ouvre d'un geste brusque, agacé, sur la silhouette du professeur. La femme parle.

 

- Aldebert Wickerson ?
- C'est à côté.

 

Et la porte se claque. Balt s'en rend pas vraiment compte. La femme toque de nouveau à la porte. Cette fois-ci, elle reste ouverte, le temps d'un discours explicatif. Il cherche pas à comprendre les modalités. Tout ce qu'il sait, c'est qu'au bout d'un moment interminable, il est invité à entrer dans l'appartement. Et qu'il est tout seul avec Wickerson. La pièce de vie transpire le boulot du mec, dans un joyeux bordel d'étoiles, de parchemins, d'ouvrages, de télescopes, de cartes du ciel, et d'autres trucs que Balt serait bien incapable de connaître. Et il reste planté au milieu de ce décor, visiblement pas très rallumé.

 

- Ils s'sont ptêt trompés, énonce-t-il simplement.


Aldebert Wickerson , Edimbourg, le 25/08/2124

C'est pas tant le bordel ok ? Ou alors c'est un bordel organisé. Ça va, c'est pas comme si quelqu'un d'autre devait partager l'espace. Partager l'espace. Blague d'astronome. Vous l'avez ? Bref. Quand, même, c'est un peu le bordel. Ça fait un moment qu'Aldebert s'étale dans tous les coins des trois seules pièces de son appartement sans vraiment faire attention, et ça commence à se sentir. Il passe plus de temps à chercher des choses qu'à en accomplir. Alors depuis ce matin, il s'occupe à faire du tri.


Dans les montagnes de parchemins aux notes éparses en patte de mouche, dans les études reçues des divers abonnements aux Observatoires du monde, dans les bouquins empilés qui parfois sont empruntés depuis si longtemps qu'il n'est plus vraiment certain que les bibliothèques dont ils proviennent soit encore en service. Dans les cartes du ciel, dont certaines se font obsolètes, et trouvent une nouvelle place dans des archives qui commencent à devenir ventripotentes dans leur placard dédié. Dans le matériel empilé au hasard également, parce que certaines optiques sont cassées, leurs engrenages distribués à leurs voisines, leurs restes déposées en tas sporadiques sur les fauteuils et canapés.


C'est long et fastidieux, mais une fois dedans, Aldebert ne sait plus vraiment s'arrêter. N'a grignoté qu'un vague sandwich dont les miettes se sont insérées dans quelques entre-pages et autres recoins de ses affaires présentement étalées sur le sol et sur l'intégralité du mobilier. Si c'était pas tant le bordel avant, c'est le bordel maintenant, on va pas se mentir. Pour sûr que c'est pas le moment de recevoir un visiteur. Alors quand ça sonne à la porte, les sourcils se froncent absurdement fort, le regard perçant scrutant l'entrée comme s'il s'agissait d'un ennemi personnel. Dressée, la silhouette s'avance d'un pas ferme, les lèvres scellées en une moue désapprobatrice. Il ouvre la porte sur une paire qu'il ne regarde même pas avant de répondre comme un réflexe qu'ils sont au mauvais endroit, leur claquant la porte au nez.


Ça sonne de nouveau. Les gens sont comme ça. Têtus. Incapable de lire entre des lignes pourtant parfaitement claires. Il rouvre plus sèchement encore que la première fois.

 

- J'ai dit non !
 

Les yeux ronds comme deux billes, tel un dégénéré, Aldebert est pourtant forcé de reconnaitre l'un des deux envahisseurs comme étant l'un de ses élèves à Poudlard, et c'est bien malgré lui qu'il demeure figé dans l'embrasure de sa porte à zieuter l'un et l'autre des visiteurs impromptus. Les explications le laissent interdit. Silencieux. Avant de tout bonnement refermer la porte avec brutalité. Non. C'est non. N'importe quoi. Un enfant illégitime. Hériter d'un enfant illégitime. Lui ? Et de cet enfant illégitime là ? Non. C'est non !

 

- Monsieur Wickerson !

 

Le cirque dure bien trois quart d'heure avant que la réalité ne lui agrippe la gorge avec une force digne de celle de coriolis. Un premier test à été fait, un second est en cours et ne nécessite qu'une partie de lui-même, mais il ne fait aucun doute réel qu'il est le père de cet individu. Diantre. Fichtre. Foutre merde, même. L'assistant social se tire, laissant Balthazar Grimfire au milieu de son salon, avec son allure de punk et sa crête impossiblement verte. Laïka. Il a pas connu de Laïka. Si ? Bordel de merde.

 

- Sans doute, oui.
 

Voilà la seule réponse qui le traverse alors que le silence se prolonge, en laisse passer un autre plus lourd encore. Le garçon reste ahuri au milieu de l'appartement, et Aldebert l'observe d'un coin de la pièce comme s'il s'était agit d'un prédateur subitement surgit par sa fenêtre. À ceci près qu'il s'agirait d'un prédateur se situant au bas de la chaîne alimentaire. De tous les élèves de Poudlard, Balthazar Grimfire était le spécimen le moins enthousiasmant pour un professeur aussi passionné qu'Aldebert. non seulement était-il complètement con, mais en prime il était d'une maladresse telle qu'il créait toujours les pires incidents. Toujours est-il que le spécimen venait de perdre sa mère. Alors.
 

- Thé ?
 

Oui, voilà la réponse, voilà la solution. Un thé. Rien de plus britannique que cela, mais Aldebert n'attendit pas la réponse pour se jeter en cuisine. Tout pour s'évader de la vision de Balthazar Grimfire dans son salon, avec un sac de voyage qui augurait l'emménagement. Les doigts tremblants se mirent à lancer la chauffe d'une casserole d'eau, et à fouiller une boîte fort lourde en bois sombre cerné de gravures qui formaient une constellation.

 

- Qu'est-ce que v... quel thé je vous sers, Monsieur Grimfire ? Et ne foutez pas l'feu au salon.
 

Merde, merde, merde. C'est à peu près le seul mantra qui peut bien lui traverser l'esprit alors que l'index bouscule de multiples verveines en sachet. Agité, il s'imagine déjà le pire. Le type est capable d'avoir déjà bousculé au moins deux téléscopes hors de prix.


 


Balthazar Grimfire , Edimbourg, le 25/08/2124

Balt a l'habitude qu'on veuille pas de lui. Il en prend pas ombrage. C'est même une des rares choses qu'il peut comprendre sans qu'on ait besoin de lui expliquer pendant cinq heures entières. Alors même si Wickerson lui propose du thé, il sait qu'il est pas tellement le bienvenu. Et ça lui fait baisser la tête vers ses baskets. C'est rare de le voir aussi calme. Aussi silencieux. Mais là c'est un peu trop pour lui. Il relève la tête le temps de répondre pour le thé, quand même.

 

- Rien, merci.

 

Il a pas envie de thé. Il a pas envie d'être là, non plus, avec un type qu'a tout sauf envie d'être son père. Il a passé toute sa vie sans père, il peut bien continuer encore un peu.

 

- J'vais y aller j'crois.

 

Wickerson a pas envie. Lui n'a pas envie. Si aucun des deux n'a envie, il voit pas trop pourquoi les deux se forceraient. Franchement, les choses sont déjà assez cheloues comme ça, y'a pas besoin d'en rajouter. Il remonte la lanière de son énorme sac sur son épaule, ajuste la position de sa planche sous son bras, et se décide enfin à bouger pour se diriger vers la porte d'entrée.

 

- On s'voit à Poudlard t'façon.

 

C'est tout ce qu'il trouve à dire pour expliquer sans le dire qu'il a pas l'intention de revenir dans ce drôle d'appartement. Balt a beau avoir l'habitude de pas tellement se sentir à sa place, y'a quand même des limites à pas dépasser, et l'appartement du Professeur Wickerson en fait partie. Il trouvera bien quelques potes pour le dépanner d'ici la rentrée. Au pire, il retournera dans la petite maison de sa mère. Y'a pas de raison, c'est chez lui là-bas, après tout. Il est même prêt à faire l'inventaire des bouquins sans qu'elle lui demande.

 

Il a quand même du mal, avec ce poids qui pèse sur son coeur. C'est comme s'il avait pris cinquante kilos d'un coup. Et puis, il sent bien qu'il a les yeux qui piquent. Il veut pas que sa mère soit morte. Il veut qu'elle soit là, qu'elle lui fasse un bisou sur le front quand il rentre. Il veut foutre la musique à fond et l'inviter à danser avec un sourire de merde quand elle lui demande de baisser le son. Il veut sa vie d'avant. Il ouvre la porte d'entrée, et passe le seuil.

 

- A plus.


Aldebert Wickerson , Edimbourg, le 25/08/2124

L'eau s'émulsionne rapidement. Trop rapidement, peut-être. Foutue magie. Il aurait pu faire ça à la moldu, histoire de gagner du temps. Le thé s'immerge pleinement, pour une décoction de cing minutes trente pendant lesquelles Aldebert tape furieusement du pied contre le carrelage, une main passant régulièrement dans des mèches hérissées sur le sommet de son crâne grisonnant. Il entend vaguement le môme causer, de l'autre côté, peut encore prétendre ne rien entendre sans paraitre rude. La deuxième fois cependant, il parvient à distinguer nettement tous les mots, et ses oreilles semblent pivoter à la manière d'un chat.

 

- Comment ?

 

Le pas se presse vers le salon, pour l'aperçu d'un Grimfire plus que sur le départ, qui s'en va carrément passer le seuil de sa porte. Aldebert reste figé comme un imbécile, avec la vague envie de ne rien y faire du tout. Bon, peut-être pas si vague, l'envie. Peut-être urgente. Peut-être au point de laisser le garçon se tirer à plusieurs bons mètres de l'appartement, sans faire l'once d'un mouvement pour lui courir après. C'est-à-dire que ça l'arrange bien, voyez. L'anomalie de cette journée lunaire, disparue Merlin-sait-où, pour le laisser vaquer à ses occupations. Son rangement. sa vie. Loin de l'idée d'un enfant surprise. D'un Balthazar Grimfire comme légitime héritier.
 

Sauf que.
 

- Merde.

 

Aldebert ne sait guère quand il se met en branle, au juste, mais il se met en branle. Arqué vers l'avant dans une posture sans doute absurde, le bonhomme file au travers de la pièce pour quitter à son tour l'appartement, poursuivre la crête verte jusque lui mettre une main sur l'épaule. À la fois pressante, à la fois légère comme une plume, aussitôt retirée. Cela suffit à les arrêter tous les deux, pour un nouveau face à face nargué d'un énième silence, de ceux si gênants qu'on les sent peser sur chaque centimètre de peau.
 

- C'est hum...
 

Raclement de gorge, regard qui fuit sur les portes voisines. Certains sont peut-être collés aux fenêtres à observer l'énergumène Wickerson en pleine discussion avec ce qui ressemble fort à un punk, à deux doigts de composer le numéro de la police.
 

- Je suis désolé, pour votre mère, Aldebert prononce enfin en se fixant finalement sur son étudiant.

 

Bien sûr, il ne se souvient guère de Laïka Grimfire. Mais il semble que ce soit clair depuis le départ, en plus de ne pas nécessiter être répété. Alors l'homme pousse un soupir.
 

- Venez.
 

Mais l'autre ne semble pas décidé, au contraire.
 

- Écoutez, visiblement je suis légalement obligé de vous fournir un toit, et vous n'avez aucun endroit où dormir. Pas la peine d'inventer n'importe quoi, il prédit avant même que Grimfire n'ait eu le temps d'ouvrir la bouche. La situation ne me plait pas plus qu'à vous, mais je crois qu'on va devoir s'y faire. Alors venez boire ce foutu thé.

 

Aldebert s'est écarté d'un pas, désignant sa propre porte d'un bras ouvert invitant Balthazar à lui passer devant. Ça le dépasse complètement, mais ça parait évident que ça dépasse encore plus le gamin. Il a l'air plus paumé encore que d'habitude, si c'était encore possible. Pire, il a l'air vide. L'astronome n'est sûr de rien quant à la manière de gérer toute l'affaire, mais il est hors de question de laisser le gamin errer dans la rue dans cet état. C'est son devoir de professeur, au-delà d'un devoir de père potentiel.


Père. Ça veut toujours pas s'enregistrer sous le crâne, qu'il puisse avoir enfanter un truc pareil. Qu'il puisse avoir enfanter tout court. Alors il compte bien laisser l'information de côté autant que possible.


Balthazar Grimfire , Edimbourg, le 25/08/2124

A la main posée sur son épaule, Balt fait volte-face. Pas trop vite, faut pas déconner. Il se contente de faire face à l'homme supposé être son père, le regardant sans grande agitation. C'est vraiment bizarre, de le voir aussi calme. Mais il a la tête un peu ailleurs. Et c'est sûrement pas plus mal, parce que si elle était ici ça deviendrait sûrement bien trop tourbillonnant pour tout le monde. Il hausse les épaules avec indolence lorsque le type annonce qu'il est désolé pour sa mère.

 

- Pas autant qu'moi, il répond platement.

 

Bordel que oui, qu'il est désolé. Sûrement qu'il a jamais été aussi désolé de sa vie alors même qu'il passe pas mal de temps à s'excuser parce que, des conneries, qu'est-ce qu'il en fait. Pis l'ordre tombe, pas franchement enthousiasmant. Alors Balt secoue la tête.

 

- Nah, vraiment, savez, j'ai des trucs à faire. Un rendez-vous chez..., mais il a pas le temps de finir son énorme mytho que l'autre reprend, comme s'il était le seul à avoir le droit à la parole. Balt ferme sa bouche, ses épaules se haussent quand il lui fait remarquer de pas s'emmerder à inventer quelque chose. C'est dommage. Il est plutôt doué pour ça, Balt.

 

Qu'est-ce qu'il comprend pas, le Wickerson ? La dernière chose qu'il a envie de faire, c'est de prendre un thé dans son appartement encombré. C'est sûr que le type a même pas un PC pour jouer, ou une console, ou même juste une putain de télé et un abonnement wifi. Mater les étoiles toute la nuit avec son nouveau papa, c'est vraiment pas dans ses intentions. Alors, encore une fois, il secoue la tête de gauche à droit.

 

- Pas b'soin d's'y faire. Vous voulez pas, j'veux pas, on l'fait pas. Y'a qu'à oublier tout ça. J'ai pas b'soin d'un thé. Pis j'vais pas aller porter plainte parc'que j'dors pas ici, ok ? Pas b'soin d'vous faire d'bile. J'vais aller au skatepark. Pis après j'irai dormir chez un pote. Pas ici. S'vous voulez j'vous dirai où, comme ça s'ils débarquent pourrez leur dire. Pas b'soin qu'ce soit vrai. Voyez. J'vous arrange, vous m'arrangez, on est arrangés. C'beau la vie, hein ?

 

Il pousse le truc jusqu'à donner une tape sur l'épaule du type, en mode ils sont trop copains depuis un bail, le tout avec un sourire un peu pâle, un peu fatigué, et une énergie pas franchement là. 


Aldebert Wickerson , Edimbourg, le 25/08/2124

Putain de bordel de merde. Aldebert avait déjà cerné la connerie de Grimfire, mais il avait jamais fait gaffe à combien il était obstiné. Le regard se resserre sur les doigts du garçon qui quitte à peine son épaule, et le professeur secoue la tête de gauche à droite.

 

- Vous m'avez mal compris. Je ne vous laisse pas le choix. Alors personne n'arrange personne, et vous m'suivez sans discuter, bon sang.

 

Le skatepark, un copain, et puis quoi encore ? Le prenait-il pour le dernier des ahuris ? Il n'avait pas commencé à être père qu'il trouvait déjà la tâche éprouvante.
 

- Pressez-vous avant que les voisins ne s'imaginent tout et n'importe quoi, voulez-vous ?

 

Aldebert n'avait cure de ce qu'on pouvait bien raconter sur lui, en vérité, mais s'il pouvait éviter de recevoir une seconde visite des forces de l'ordre chez lui dans cette journée, ça serait sympa. C'est-à-dire qu'à ce stade, on était pas à l'abri qu'on lui dépose un second Grimfire encore plus crétin que le précédent. Sauf que voilà. le garçon se presse ; dans le sens opposé à celui attendu.
 

- Balthazar, ne soyez pas stupide ! Oh et puis merde.

 

Un instant bref, l'astronome se voit laisser le garçon se tirer, pour de bon cette fois. Ne plus s'en inquiéter jusqu'au moins la rentrée. Sauf que c'est impossible. Pour des raisons évidentes. Moins d'une heure plus tôt, il n'avait d'autre responsabilité que de tenir son ficus en vie, se pointer à Poudlard pour ses cours, surveiller le mouvement des étoiles au-dessus de sa tête lors des évènements célestes. Tout ça venait de drastiquement changer.
 

D'un coup discret de baguette, l'appartement est verrouillé, et les jambes se mettent en branle pour courser Grimfire. Arrivé à sa hauteur, Aldebert a le visage fermé de celui qui a pris une décision avec laquelle il n'est possiblement pas d'accord lui-même. Pourtant il continue d'avancer, le mécontentement clairement affiché sur la gueule, les sourcils assemblés en une ligne, et les lèvres serrées qui refusent de commenter la situation brusquement évidente. Il ne lâchera pas Grimfire d'une semelle.
 


Balthazar Grimfire , Edimbourg, le 25/08/2124

Les ordres de l'homme passent clairement au-dessus de la crête verte qui n'a nullement l'intention de se retrouver enfermée dans un appartement encombré d'objets qu'elle risquerait de briser en moins d'une demie seconde. Quant aux voisins, il pourrait difficilement en avoir moins quelque chose à faire. Alors il répond même pas, se contente de faire demi-tour, comme il a décidé. Soyez pas stupide qu'il ose lui dire, l'autre. Ironique venant d'un des profs qui cache le moins bien le fait qu'il soit un idiot fini.

 

Ce à quoi il s'attend pas, en revanche, c'est que l'autre le suive à la trace. En tirant une gueule de six pieds de long, mais vraiment en mode déterminé. Enfin, si ça peut lui faire plaisir, au fond, Balt s'en tamponne. Il veut juste aller au skatepark pour retrouver ses potes. Il a besoin d'un truc connu. D'un truc rassurant. D'un truc stable. Et c'est clairement pas Wickerson qui va lui offrir ça.

 

- Z'êtes pas obligé d'venir. J'vais vraiment au skatepark hein. J'connais la route j'risque pas d'me perdre, qu'il explique quand même, adossé à un arrêt de bus.

 

Le sac commence à peser lourd, il le change d'épaule. Pénètre dans le bus sans prendre la peine de payer le moindre ticket, file s'installer au fond sous les drôles de regards des gens qui voient d'un mauvais oeil sa dégaine générale. Une vingtaine de minutes plus tard, il descend, entre dans un parc, se dirige vers le fond de l'endroit, qui laisse enfin apparaître son skatepark favori.

 

Evidemment, une enceinte y est déposée, qui crache un son punk rock à pleine balle. Y'a une dizaine d'ados au look grunge qui se trouve là, certains à tenter quelques tricks, d'autres qui restent en haut d'une rampe le temps d'une petite bière. Aussitôt, il rejoint ceux-là.

 

- Yo Balt ! Cool qu'tu viennes. On est désolés pour ta daronne mon pote.
- Ouais grave. Pas d'chance vieux.
- Prends une bière à sa santé !
- Ouaip ! A ta mère Balt !

 

Le temps de quelques checks, la bière est déjà dans sa main, et ses trois copains lèvent la leur pour trinquer à Laïka. Balt suit le mouvement avec un léger sourire triste, et se fait pas prier pour avaler de longues gorgées d'une bière trop chaude.

 

- C'est qui l'vieux avec toi ?
- C'est... Boarf j'sais pas trop.
- Il veut une bière ? Hé ! T'veux une bière ? Où t'vas juste nous mater d'loin ? C'chelou mec j'te jure !

 

Pendant que Joe et ses cheveux décolorés coiffés en piques s'adressent à Wickerson, Klee, la seule fille du groupe pose sa main sur l'épaule de Balt avant de déposer sa joue sur son épaule.

 

- Comment tu vas ? T'sais si t'as b'soin on est là. 
- J'sais, Klee. Mais j'crois j'veux juste oublier.
- Alors ça j'peux t'aider. Prends ta planche !

 

Elle est déjà en train de se laisser prendre de la vitesse pour tournoyer dans le bowl. Aussitôt, Balt délaisse son gros sac pour faire de même, tandis qu'ils se croisent régulièrement, toujours plus proches, comme pour voir qui va se dégager de la trajectoire de l'autre en premier pour éviter le choc.


Aldebert Wickerson , Edimbourg, le 25/08/2124

Les jambes, longues, n'ont aucune peine à suivre le rythme d'un Balthazar Grimfire qui semble errer davantage qu'il ne marche. Aucune réponse n'est esquissée à destination de l'adolescent, qui ne semble pas comprendre que lorsque Aldebert a décidé d'une chose, il a décidé d'une chose. Les mains dans les poches, l'homme s'installe dans une position similaire à celle du garçon, les yeux perchés sur la route de laquelle proviendra bientôt un bus.

 

Pour les entrainer au skatepark, donc.
 

D'aspect, l'astronome est d'une neutralité sans faille, muré dans le silence. Pourtant sous son crâne s'éveillent de chaotiques pensées qui le font observer plus qu'attentivement le jeune Grimfire. Chercher des similitudes qu'il ne trouve pourtant pas. Laïka. Laïka. Laïka. Une rivière lui vient à l'esprit, et c'est tout. Aucune femme. Probablement que c'est l'une de ces histoires d'une semaine, comme il en a eu beaucoup. Il voudrait voir une photo, n'a aucune envie d'en demander. Patiente, absurdement, et ronge son frein.
 

Il en a passé du temps, au skatepark, lui aussi. Môme, il adorait ça. Avant Poudlard, il passait davantage de temps à y trainer avec les copains que sur les bancs de l'école. Pendant Poudlard, il n'avait plus que les vacances pour rattraper le temps perdu avec des garçons qui ne comprenaient pas vraiment les raisons de son départ pour le nord de l'Écosse, dans ce pensionnat spécial fort mystérieux. Après Poudlard... Après Poudlard il n'y avait plus mis les pieds. Ce qui ne voulait pas dire qu'il n'avait plus mis les pieds sur un skate. Mais honnêtement, cela faisait plusieurs années que ça n'avait plus été le cas.
 

La vie avait cette façon absurde de vous balancer d'un point à un autre sans grande logique, et Aldebert la vilaine habitude d'en amplifier le mouvement rien que pour la beauté du geste.
 

Le silence s'est étendu, creusé, fortifié même peut-être. En quelques minutes à peine, ce silence avait une géo-politique probablement très élaborée, disons le comme ça. Jusque l'arrivée de la paire la plus improbable du monde aux abords du fameux skatepark, du moins. La musique les inonde d'abord, puis la camaraderie d'une bande de potes aux looks toujours plus aberrants qui ne sont pas sans rappeler les choix capillaires de Balthazar. Aldebert se contente de les observer, optant pour une retraite à quelques mètres du groupe comme s'il n'était finalement pas arrivé avec l'adolescent.
 

Si le garçon a besoin de voir ses amis, il n'a probablement pas besoin que son professeur d'astronomie fasse partie des retrouvailles.

 

Ses potes, par contre, ont clairement pas tant besoin d'un quinquagénaire qui les zieute de la rambarde d'à-côté. Le sourire qui lui vient n'a rien de bien naturel. C'est-à-dire qu'il avait pas forcément prévu d'être là aujourd'hui quoi. Encore moins cernés de punks de seize ans.
 

- Hum. Ouais, pourquoi pas. Merci.

 

Après tout, tant qu'à perdre son weekend... Avancé sans grande hésitation en direction de la dizaine de gamins, Aldebert récupère la bière qu'on lui tend pour en prendre plus de la moitié d'un seul coup - non c'est que la nouvelle est toujours pas passé en fait. Ça cause dans tous les sens autour de lui, et Balthazar est partie faire de la planche avec une nana aux cheveux violet qui semblent lui pousser sur la tête avec la même hargne violente que la crête de Grimfire.

 

- Z'êtes qui ?

- Aldebert. Wickerson. J'suis son prof, il balance pour toute réponse, le regard serré sur le gamin. Il skate bien.

- Ah ouais ? Chelou. Du pensionnat là ?

- Yo, Mike, on s'fait un ride ?

- Comment ça, chelou ?

- Bah chais pas, pourquoi z'êtes là ? C'est parce que Balt il a perdu sa daronne et tout ?

- Mh, mh.

- Faites du skate ?

- J'en ai fait.

- Nice. D'vriez y aller.

- Y aller ?

- Faire du skate man !

- Nan, nan ça fait des années que...

- Ah mais allez c'est bon, c'est fun ! T'nez ma planche voir.
 

Aldebert a fini sa bière en quelques instants à peine, et, poussé par le gang d'adolescents, il finit par abdiquer. C'est-à-dire qu'on se fait vite chier à zoner en regardant les autres rouler sur les planches. Pis bon. Quitte à perdre son weekend. Sous les huées du groupe, il se fout sur la planche, et se lance à l'assaut du bordel. Ça fait longtemps. Mais putain c'est bon en fait.
 


Balthazar Grimfire , Edimbourg, le 25/08/2124

A n'importe quel autre moment, ça l'aurait sûrement fait marrer de voir Wickerson sur une planche de skate, poussé par ses potes à montrer ce qu'il sait faire. Mais là, ça le coupe juste dans son élan. De voir le mec essayer de se fondre dans le décor. Le mec qui a rien à foutre dans le décor de base. Bordel, on a pas idée de lui balancer un daron du jour au lendemain. Il en veut pas. Il veut juste sa mère.

 

Alors tandis que le type se ridiculise à essayer de tenir sur la planche, il remonte une dernière fois la pente, récupère son skate une fois en haut d'un geste tellement répété qu'il en est naturel, et vient récupérer une nouvelle canette de bière. Ce coup-ci, il plante un canif à la base pour en faire jaillir le liquide à toute vitesse, qu'il avale direct, non sans s'en foutre un peu sur les fringues au passage.

 

C'est pas tellement suffisant pour lui bourrer la gueule. Lui faire oublier les derniers jours. Lui qui est connu et reconnu pour pas être foutu de réfléchir plus de deux secondes, il a l'impression que ça fuse à toute berzingue et ça lui plaît pas des masses. Parce que ça lui serre juste le coeur. Pis ça lui compresse la poitrine. Et ça lui donne un peu envie de chialer. Bordel, il a pas envie de chialer.

 

Alors il attrape une autre canette, pour la boire de la même façon que la précédente. Ses potes le regardent bizarrement.

 

- Mec j'suis pas sûr...
- Ouais, tu d'vrais ptet ralentir là...
- T'veux aller faire un tour ? 

 

Et ils continuent, comme ça, avec leur foutue compassion dont il a pas besoin et qu'il a pas demandé. Il voulait juste traîner avec ses potes pour penser à autre chose, pas se taper une bande de regards inquiets de la part de punks qui se sentent responsables sous prétexte qu'ils sont potes. Il les entend à peine, comme un brouhaha en arrière plan. Sait même pas si Wickerson est revenu lui aussi.

 

- FERMEZ-LA ! FERMEZ VOS PUTAINS D'GUEULES ! qu'il gueule soudainement, le regard noir.

 

Pis ça a le mérite de les calmer direct, parce qu'il a pas l'habitude de se foutre en rogne. Faut dire qu'il est du genre à tout laisser glisser. Mais là, bizarrement, ça glisse pas. Il chope une autre canette, en les toisant un à un du regard, comme pour les mettre au défi de l'en empêcher.

 

- Ma mère est morte, ok ? Alors si j'ai envie d'me bourrer la gueule j'me bourre la gueule. Faites pas chier, il finit par lâcher, plus calmement. Mais visiblement, ça lui suffit pas. Alors il récupère sa planche, son sac, et se barre sans plus de cérémonie.

 

Sûrement qu'ils essaient de le retenir. De s'excuser. Mais il fait pas gaffe. De toute façon, ils s'arrêtent vite. Y'a juste Wickerson qui lui, le lâche pas. La dernière canette attrapée est ouverte d'un geste avant qu'il se tourne vers lui.

 

- Faites chier là ! C'votre faute ! Sont pas comme ça d'habitude ! Z'allez tout niquer pendant longtemps ? Croyez pas que c'd'jà assez la merde là ?


Aldebert Wickerson , Edimbourg, le 25/08/2124

Sûr qu'il met fin rapidement à la connerie. Déjà il s'est pas cassé la gueule comme un débutant, c'est pas mal. S'il peut éviter de se casser les genoux devant l'intégralité des jeunes du quartier, ça l'arrange pas mal. Ou devant son fils. Son retour est accueillis avec des grands sifflements et des claques dans le dos qui lui rappellent grandement sa jeunesse, et qui le font sourire comme un môme, mais il rend la planche à son propriétaire en haussant les épaules.
 

- J'crois que c'est derrière moi tout ça, j'ai clairement perdu le sens de l'équilibre quelque part après ma cinquantième année.

- Cinquante balais ? Merde t'es vieux.

- Eh oh ça va hein !
 

Aldebert fait pas bien attention, au départ, à Grimfire. Il l'a suivi jusqu'ici, ça veut pas dire qu'il va le surveiller comme un aigle alors qu'il a sans doute plutôt besoin de ses amis. Il est plus que conscient que sa présence est pas la bienvenue pour l'adolescent, même s'il refuse obstinément de complètement l'abandonner en pleine rue. Le truc c'est qu'il est difficile d'ignorer le groupe qui commence à sérieusement lorgner le punk d'un œil étrange en lui répétant de ralentir. Il vient de finir une seconde canette de bière cul sec qu'Aldebert commence à peine à froncer les sourcils, les yeux braqués sur lui.
 

Énervé ? Juste un peu. L'explosion de Balthazar a visiblement tout à voir avec ce qui vient de lui arriver, et qui pourrait vraiment l'en blâmer ? Aucun des jeunes présents ne sait vraiment comment répondre, et aucun non plus ne se décide à le suivre alors qu'il s'en va en embarquant une troisième bière. L'astronome repose la sienne, à peine entamée, pour lui marcher après d'un pas vif. Se voit forcer de trotter à plusieurs reprises pour rattraper l'adolescent, qui se retourne brusquement. Tellement brusquement qu'il manque de lui rentrer dedans. Peu impressionné, Aldebert le regarde ouvrir sa bière d'un geste, fais pas vraiment cas de la réplique assassine qui est probablement sensé le pousser à repartir d'où il est venu.
 

- Vous avez terminé ? Il demande simplement. Si vous comptez vous prendre une cuite, je suppose qu'il faut au moins une personne responsable pour vous ramasser sur le trottoir où vous ne manquerez pas de vous échouer. Il doute que les amis de Balthazar soient bien différents en sa présence ou non. Probablement qu'ils n'ont, en revanche, pas pour habitude de s'inquiéter pour un garçon qui vient de perdre sa mère. Où allons nous ?

 

La question est posé en toute simplicité, les mains d'Aldebert plongées dans ses poches. Le groupe de punks semblent les regarder de loin, sans trop savoir quelle décision prendre. Visiblement aucune. Le sorcier n'avait certes rien demandé, mais il ne comptait pas lâcher Balthazar d'une semelle à présent qu'il en avait la charge. Cela devait sembler clair pour l'adolescent, qu'il pressentait sur le poing de frapper quelque chose. Ou quelqu'un. Ainsi soit-il. Ce dimanche ne se passerait pas comme il l'avait prévu, et il en avait déjà fait le deuil. Au contraire d'un Grimfire qui semblait quelque part entre les stades un et deux de ce dernier.
 

Il n'était pas équipé pour gérer ni l'un, ni l'autre - ni les trois suivants. Mais lui laissait-on vraiment le choix ?
 

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