Les jambes, longues, n'ont aucune peine à suivre le rythme d'un Balthazar Grimfire qui semble errer davantage qu'il ne marche. Aucune réponse n'est esquissée à destination de l'adolescent, qui ne semble pas comprendre que lorsque Aldebert a décidé d'une chose, il a décidé d'une chose. Les mains dans les poches, l'homme s'installe dans une position similaire à celle du garçon, les yeux perchés sur la route de laquelle proviendra bientôt un bus.
Pour les entrainer au skatepark, donc.
D'aspect, l'astronome est d'une neutralité sans faille, muré dans le silence. Pourtant sous son crâne s'éveillent de chaotiques pensées qui le font observer plus qu'attentivement le jeune Grimfire. Chercher des similitudes qu'il ne trouve pourtant pas. Laïka. Laïka. Laïka. Une rivière lui vient à l'esprit, et c'est tout. Aucune femme. Probablement que c'est l'une de ces histoires d'une semaine, comme il en a eu beaucoup. Il voudrait voir une photo, n'a aucune envie d'en demander. Patiente, absurdement, et ronge son frein.
Il en a passé du temps, au skatepark, lui aussi. Môme, il adorait ça. Avant Poudlard, il passait davantage de temps à y trainer avec les copains que sur les bancs de l'école. Pendant Poudlard, il n'avait plus que les vacances pour rattraper le temps perdu avec des garçons qui ne comprenaient pas vraiment les raisons de son départ pour le nord de l'Écosse, dans ce pensionnat spécial fort mystérieux. Après Poudlard... Après Poudlard il n'y avait plus mis les pieds. Ce qui ne voulait pas dire qu'il n'avait plus mis les pieds sur un skate. Mais honnêtement, cela faisait plusieurs années que ça n'avait plus été le cas.
La vie avait cette façon absurde de vous balancer d'un point à un autre sans grande logique, et Aldebert la vilaine habitude d'en amplifier le mouvement rien que pour la beauté du geste.
Le silence s'est étendu, creusé, fortifié même peut-être. En quelques minutes à peine, ce silence avait une géo-politique probablement très élaborée, disons le comme ça. Jusque l'arrivée de la paire la plus improbable du monde aux abords du fameux skatepark, du moins. La musique les inonde d'abord, puis la camaraderie d'une bande de potes aux looks toujours plus aberrants qui ne sont pas sans rappeler les choix capillaires de Balthazar. Aldebert se contente de les observer, optant pour une retraite à quelques mètres du groupe comme s'il n'était finalement pas arrivé avec l'adolescent.
Si le garçon a besoin de voir ses amis, il n'a probablement pas besoin que son professeur d'astronomie fasse partie des retrouvailles.
Ses potes, par contre, ont clairement pas tant besoin d'un quinquagénaire qui les zieute de la rambarde d'à-côté. Le sourire qui lui vient n'a rien de bien naturel. C'est-à-dire qu'il avait pas forcément prévu d'être là aujourd'hui quoi. Encore moins cernés de punks de seize ans.
- Hum. Ouais, pourquoi pas. Merci.
Après tout, tant qu'à perdre son weekend... Avancé sans grande hésitation en direction de la dizaine de gamins, Aldebert récupère la bière qu'on lui tend pour en prendre plus de la moitié d'un seul coup - non c'est que la nouvelle est toujours pas passé en fait. Ça cause dans tous les sens autour de lui, et Balthazar est partie faire de la planche avec une nana aux cheveux violet qui semblent lui pousser sur la tête avec la même hargne violente que la crête de Grimfire.
- Z'êtes qui ?
- Aldebert. Wickerson. J'suis son prof, il balance pour toute réponse, le regard serré sur le gamin. Il skate bien.
- Ah ouais ? Chelou. Du pensionnat là ?
- Yo, Mike, on s'fait un ride ?
- Comment ça, chelou ?
- Bah chais pas, pourquoi z'êtes là ? C'est parce que Balt il a perdu sa daronne et tout ?
- Mh, mh.
- Faites du skate ?
- J'en ai fait.
- Nice. D'vriez y aller.
- Y aller ?
- Faire du skate man !
- Nan, nan ça fait des années que...
- Ah mais allez c'est bon, c'est fun ! T'nez ma planche voir.
Aldebert a fini sa bière en quelques instants à peine, et, poussé par le gang d'adolescents, il finit par abdiquer. C'est-à-dire qu'on se fait vite chier à zoner en regardant les autres rouler sur les planches. Pis bon. Quitte à perdre son weekend. Sous les huées du groupe, il se fout sur la planche, et se lance à l'assaut du bordel. Ça fait longtemps. Mais putain c'est bon en fait.